Le dossier judiciaire sur les soupçons de mauvaise gestion et de malversation au niveau de la Société nigérienne d’urbanisme et de construction immobilière (SONUCI) s’est accéléré avec l’interpellation et le placement en détention, en fin de semaine, de plusieurs cadres et ex-dirigeants de la société publique. Les investigations se poursuivent et selon plusieurs rapports d’inspection, dont le dernier de la Cour des comptes, des pratiques peu orthodoxes ont eu cours pendant longtemps au sein de la Société occasionnant un manque à gagner évalué à plusieurs centaines de millions de francs CFA. Entre mauvaise gestion, octroi d’avantages indus, non-respect des engagements et paiement de trop perçu, le traitement judiciaire de cette affaire va permettre de faire la lumière sur les cas de malversations et d’assainir la gestion de cette entreprise publique qui n’a jamais vraiment répondu aux missions qui lui ont été assignées.
Cela fait déjà plusieurs mois que des rapports d’inspection d’Etat ont révélés des soupçons de mauvaise gestion à la SONUCI. Comme promis par le Président de la République dans le cadre de sa lutte contre la corruption et les infractions assimilées, le dossier a fini par atterrir aux mains de la justice. Mi-mai, plusieurs anciens dirigeants et cadres de la boite dont des PCA, des Directeurs généraux ainsi que d’autres responsables ont commencé à être auditionnés au niveau de la police judiciaire de Niamey, sous la direction du parquet.
En fin de semaine dernière, les auditions se sont poursuivies au niveau du pôle financier et économique du Tribunal de grande instance hors classe (TGI/HC) de Niamey et plusieurs des responsables épinglés ont été placés sous mandat de dépôt à la prison civile de Niamey. Selon nos sources, au moins six (06) personnes dont un ancien DG de la boite ainsi que des directeurs centraux ont été écroués en attendant la suite de l’instruction qui est en cours.
Cette tournure que prend ce dossier n’est une surprise pour personne et surtout pas pour les clients de la SONUCI qui depuis des années, rencontrent d’énormes difficultés à rentrer dans leurs droits notamment pour les achats de parcelles viabilisées qui finissent le plus souvent en contentieux devant les juridictions nationales.
Mauvaise gestion, octroi d’avantages indus, non-respect des engagements…
Cette situation n’est que la partie visible de l’iceberg de la mauvaise gestion de cette société qui a vu le jour en 1961 et dont l’Etat est le principal actionnaire. Une mauvaise gestion qui a eu comme résultat de mettre l’entreprise à genoux comme l’atteste son bilan désastreux notamment pour ce qui de son objet social principal c’est à dire la réalisation d’opérations d’aménagement urbain. En plus du rapport d’inspection d’Etat qui a mis à nu les cas de malversations qui ont eu cours au sein de la boite et qui portent sur des irrégularités de près de 5 milliards de francs CFA selon nos sources, le dernier rapport de la Cour des comptes pour l’exercice 2022 a également révélé plusieurs manquements qui ont porté de grave préjudice aux finances publiques. Absence de description des procédures de gestion; dysfonctionnement des organes exécutifs et délibérants; faible taux de recouvrement des produits de la société et irrégularités susceptibles de porter atteinte à la performance de la société, telles sont les observations formulées par les auditeurs du gendarme des finances publiques au niveau de la SONUCI.
Sur la location des villas « simple particulier », par exemple, on apprend que la société n’a recouvré que 12% en 2017, 11% en 2018 et 15% en 2019 des recettes attendues. Sur la vente des villas, le rapport nous apprend qu’au cours des exercices 2017, 2018 et 2019, la SONUCI n’a respectivement recouvré que 40,65 millions, 151,77 millions et 58,77 millions au titre de la vente des villas de la Cité 1 SONUCI sur des recettes attendues de 1,19 milliard; 1,2 milliard et 1,06 milliard de francs CFA soit des taux respectifs de recouvrement de 3%, 13% et 6%.
Autres faits graves relevés par la Cour des comptes, de mauvaises pratiques qui se caractérisent par l’octroi de certains avantages indus aux personnels et aux administrateurs, le paiement des dépenses au-delà des travaux exécutés et par le non-respect des engagements pris par la Société. A titre illustratif, il a été procédé à la majoration de 50% des indemnités mensuelles du PCA et des jetons de présence des administrateurs sans l’approbation de la décision du Conseil d’administration par l’Assemblée générale. Lors du Conseil d’administration du 05 juin 2018, le PCA a bénéficié de 2 parcelles de 600 mètres carrés chacune à titre gratuit ainsi que d’un véhicule de fonction. Autre exemple, lors du Conseil du 31 janvier 2012, le Conseil a décidé, à l’unanimité de ses membres, de mettre à la disposition du Directeur général, dix (10) parcelles de 600 mètres carrés chacune par lotissement à titre de gratification aux partenaires de la SONUCI.
Pour ce qui des paiements au-delà du montant correspondant aux travaux, la Cour a constaté qu’ils concernent plusieurs entreprises et l’écart total entre le montant dû et le montant payé s’élève à plus de 199 millions de francs CFA. En effet, lit-on, pour des coûts financiers de 563,07millions de francs CFA correspondant aux travaux réalisés, 762, 52 millions de francs CFA ont été payés aux entreprises.
Selon nos sources, c’est le rapport d’inspection d’Etat qui a permis d’épinglé plusieurs anciens dirigeants et cadres de la Sonuci et qui sont actuellement dans le collimateur de la justice. Lors du Conseil des ministres du 19 janvier 2023, il a été mis fin aux fonctions de Directeur général de la SONUCI exercées par M. Tankari Mahamadou. L’intérim a été assuré par M. Zakari Yaou, qui était jusque-là le Directeur technique de l’Entreprise. Les deux cadres font partis de ceux qui ont été épinglés par le rapport et placés en détention par le juge du pole économique et financier du TGI/HC de Niamey.
Faire la lumière sur la gestion de la SONUCI pour lui redonner un nouveau souffle
Depuis le 18 mai dernier, la SONUCI a un nouveau Directeur général en la personne de M. Ibrah Souradja, un jeune architecte urbaniste, ancien du Lycée technique Dan Kassawa (LTDK) de Maradi et de l’EAMAU de Lomé au Togo, qui était cadre à la Banque de l’Habitat du Niger.
La transmission du dossier SONUCI à la justice va certainement permettre de faire la lumière sur tous les cas de soupçons de malversations et de mauvaise gestion afin de permettre à l’Etat de rentrer dans ses droits, aux coupables de payer pour leurs forfaitures et aux innocents de laver leur honneur. C’est tout ce que les citoyens attendent en faisant foi aux engagements répétés du Chef de l’Etat dans le cadre de l’assainissement qu’il a annoncé dans la gestion des affaires publiques. D’autres dossiers attendent leur transmission à la justice mais déjà, cette « affaire Sonuci » tous comme les précédents dossiers déjà en instruction (BAGRI, Douanes, CNTPS,…) constituent des cas d’école où la justice nigérienne joue sa crédibilité et le Président de la République aussi. Des suites données à ces affaires dépend en grande partie, en effet, la confiance qu’auront les nigériens et les nigériennes à l’œuvre de moralisation de la gestion de la gestion publique annoncée et ressassée au plus haut niveau de l’Etat. Il va sans dire que particulièrement pour ce dossier, les interférences politiques ne sont pas écarter et ne viennent prendre en otage certains aspects de la procédure ou des investigations qui pourraient laisser un goût d’inachevé au traitement de l’affaire. Sans accuser personne, la présomption d’innocence étant plus que jamais de mise à ce stade la procédure judiciaire qui ne fait que commencer, le nom de deux anciens DG de la Sonuci revient particulièrement et avec insistance dans la gestion de cette boite. Il s’agit de Moussa Barazé, actuel ministre des Postes et de l’Economie numérique, et de Abdoul Karim Dan Mallam, conseiller transversal du Président de la République. Le premier est président de l’ANDP Zaman-Lafiya et le second de l’ANDD Moubarak, deux partis alliés au PNDS Tarrayya au pouvoir au sein de la MRN, qui auront certainement à répondre également de leur gestion à la tête de la SONUCI, ce qui leur permettra par ailleurs de se laver de tout soupçon tout en permettant aussi à la justice de faire convenablement son travail. C’est le Président Bazoum qui l’a dit et redit que personne ne sera protégé par sa famille politique en cas de mauvaise gestion ou de détournement de biens publics. Les nigériens n’attendent que des actes pour y croire et les occasions ne font que se présenter…
A.Y.Barma (actuniger.com)