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Mahamadou Issoufou, ancien Président de la République du Niger : « Nous avons tous intérêt à avoir une bonne lecture de la situation… »

Dans une interview exclusive, l’ancien Chef de l’État nigérien, Mahamadou Issoufou, qui préside le Panel de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel, revient sur les graves enjeux auxquels fait face cette région. Dans ce rapport présenté le 21 octobre dernier au Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, l’ex-Président du Niger expose les racines de la crise sahélienne, les responsabilités partagées des États et des acteurs internationaux, et esquisse une vision ambitieuse pour un « Sahel 2.0 » d’ici 2063. Mahamadou Issoufou se penche aussi sur la gouvernance démocratique et la sécurité collective, tout en répondant aux accusations le concernant dans le contexte politique du Niger.

Mahamadou Issoufou, ancien Président de la République du Niger

 

▪Propos recueillis par Simon Pierre Etoundi

Dans le récent rapport du Panel de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel que vous présidez, vous soulignez que « le Sahel va mal et le statu quo est insoutenable ». Pourriez-vous nous expliquer les principaux facteurs qui ont contribué à cette crise et en quoi le statu quo représente un risque majeur pour l’avenir de la région ?

 

Le Sahel géopolitique traverse de multiples défis. Ces défis sont interconnectés : gouvernance, sécurité (notamment la lutte contre le terrorisme), développement (notamment pauvreté et inégalités), mobilisation des ressources. Ces défis sont amplifiés par le changement climatique et la pression démographique. Le Panel estime que les causes profondes de la situation sont l’échange inégal (les pays pauvres ont perdu 2 200 milliards en 2017 du fait de l’échange inégal) et une architecture financière internationale inéquitable (la dette devenant une source de pauvreté et non un instrument de développement à cause des taux d’intérêt élevés pour les pays pauvres). Le maintien du statu quo permettra aux groupes terroristes de s’étendre, menaçant la sécurité régionale, continentale et internationale, avec la possibilité pour les terroristes de capturer des ressources stratégiques, ce qui entraînera des risques de rétraction des États dans les centres urbains, le déplacement massif des populations des zones rurales insécurisées vers les villes, une aggravation de la pauvreté et des inégalités, et même la disparition des États sous leur forme actuelle.

 

Selon votre analyse, la situation actuelle résulte d’une responsabilité partagée entre les Etats du Sahel, les communautés économiques régionales (CER), l’Union Africaine (UA), l’organisation des Nations Unies (ONU) et certains partenaires internationaux. Quels engagements ou changements attendez-vous de chacun de ces acteurs pour améliorer durablement la situation dans la région ?

 

Chaque acteur porte une part de responsabilité : les États sahéliens, affaiblis par des programmes d’ajustement qui ont négligé la sécurité, peinent à répondre aux besoins de leurs populations ; les organisations régionales et l’Union africaine, quant à elles, n’ont pas su coordonner efficacement leurs efforts. L’ONU a aggravé la situation avec son intervention en Libye, et les partenaires internationaux ont mené des stratégies morcelées, sans cohérence avec les besoins locaux.

 

Votre rapport trace la voie vers un « Sahel 2.0 » d’ici 2063. Quelles actions immédiates recommandez-vous pour amorcer cette transformation et garantir que cette vision ne demeure pas une simple projection théorique ?

 

Le Panel propose une vision : celle du Sahel que nous voulons en 2063, un Sahel 2.0, c’est-à-dire un Sahel émergent, stable, en paix, ayant achevé sa transition démographique et connaissant une forte croissance économique. Pour que cette vision devienne réalité, le Panel propose une stratégie s’appuyant sur quatre piliers (gouvernance, sécurité, développement, mobilisation des ressources) avec pour cadre géographique le Sahel géopolitique, qui sera institué en une Communauté sahélienne de sécurité collective (CSSC), la sécurité étant entendue dans le sens de sécurité humaine. Le Panel préconise l’alignement de toutes les stratégies des partenaires sur cette stratégie unique qui aura des déclinaisons nationales et sous-régionales. Le Panel a établi deux formules d’émergence qui permettent de suivre l’évolution de la situation par pays.

 

Vous insistez sur l’importance d’une gouvernance démocratique pour garantir la stabilité du Sahel. Quelles réformes politiques et institutionnelles vous semblent prioritaires pour instaurer une stabilité durable dans cette région en proie aux crises politiques récurrentes ?

 

La gouvernance est centrale. Partant du principe que les valeurs démocratiques sont universelles et les institutions locales, le Panel recommande que celles-ci soient adaptées à l’histoire et à la culture des peuples des pays de la région, l’objectif étant la construction d’États stables et efficaces.

 

Vous proposez la création d’une communauté sahélienne de sécurité collective. Pourriez-vous nous en dire sur le rôle de cette entité, les modalités de sa mise en œuvre et comment elle se différencierait des initiatives sécuritaires existantes ?

 

 

 

Notre proposition découle d’une analyse géopolitique qui voit le Sahel comme un espace continu, caractérisé par la mobilité. Cette Communauté de sécurité collective permettrait de mutualiser les ressources humaines, économiques et sécuritaires pour lutter contre le terrorisme et instaurer une stabilité durable.

 

Vous recommandez de porter le taux d’industrialisation à 25% du PIB, avec un accent sur les chaînes de valeur agricoles et minières. Quels défis doivent être surmontés pour accomplir cette transformation économique et quels rôles jouent les infrastructures et la gouvernance dans cette démarche ?

 

L’industrialisation est essentielle pour élever la valeur ajoutée des ressources locales. Cela nécessite une gouvernance qui protège les intérêts locaux, un environnement des affaires stable et des infrastructures robustes (transports, énergie, connectivité). Le Panel préconise aussi une modernisation de l’agriculture et une industrialisation rapide pour transformer le potentiel du Sahel en prospérité durable.

 

Votre Rapport évoque un meilleur encadrement des ressources de la diaspora. Comment voyez-vous la diaspora contribuer activement au développement économique et social du Sahel, et quelles initiatives concrètes pourraient faciliter cette contribution ?

 

La diaspora représente un atout économique majeur par ses transferts financiers et de compétences. Un meilleur encadrement de ces apports permettrait de maximiser leurs retombées positives pour le développement régional.

 

Vous proposez l’élaboration d’un pacte international sur la sécurité et la migration. Quelles en seraient les priorités, et comment ce pacte pourrait-il contribuer à résoudre les défis transnationaux auxquels le Sahel est confronté ?

 

Le pacte international proposé vise à stabiliser le Sahel pour endiguer une potentielle crise migratoire vers l’Europe. Il doit soutenir la vision Sahel 2.0, en aidant les pays sahéliens à surmonter les défis de gouvernance, de sécurité et de développement.

 

Sur le cas particulier de votre pays, le Niger, on vous a très peu entendu, au point où certains ont cru y percevoir votre implication dans le coup d’Etat qui a renversé votre successeur Mohamed Bazoum…

 

Ce sont ceux qui cherchent des boucs émissaires qui prétendent ne m’avoir pas entendu. Le bouc émissaire, par définition, c’est la personne sur laquelle on fait retomber les fautes des autres. Je n’accepte pas qu’on me fasse jouer ce rôle. Nous avons tous intérêt à avoir une bonne lecture de la situation. Nous avons tous intérêt à nous poser les bonnes questions et à trouver les bonnes réponses. Par exemple, combien y a-t-il eu de coups d’État en Afrique ces deux dernières années ? Pourquoi ces coups d’État sont-ils intervenus, dans leur totalité, dans des pays francophones? Cela tient-il du hasard ? Pourquoi ne constate-t-on pas le même phénomène dans les pays anglophones ?

Contrairement à certains qui ont une appréciation des coups d’État en fonction de leurs intérêts, à géométrie variable et donc sans principe, je condamne tous les coups d’État, y compris celui du 26 juillet, mais les Ponce Pilate, de l’intérieur comme de l’extérieur, qui n’assument jamais leur responsabilité, ne m’entendent pas.

 

Vous aviez annoncé votre intention de porter plainte contre l’ancien ambassadeur de France au Niger pour ses déclarations sur votre implication dans le coup d’état du 26 juillet 2023. Où en êtes-vous ?

 

Mes avocats avaient fait une déclaration pour annoncer mon intention de porter plainte contre l’ancien Ambassadeur de France au Niger. La plainte a été effectivement déposée. Elle est entre les mains du juge d’instruction.

 

Pourquoi vous êtes-vous opposé, à l’époque, à l’intervention militaire de la CEDEAO ?

« La plus extravagante idée qui peut naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à mains armées chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ». Comme on le sait, Robespierre était loin d’être un tendre.

Je suis d’accord avec lui: « personne n’aime les missionnaires armés ». Ce ne sont pas les Libyens qui le contrediront, ni les peuples du Sahel qui subissent les conséquences de l’intervention en Libye, intervention contre laquelle je m’étais élevé quand j’étais Président du Niger. C’est pour dire que je ne pouvais pas, dans le cas du Niger, faire moins que ce que j’ai fait dans le cas libyen.

 

https://notreafrik.com/actualite/politique/mahamadou-issoufou-ancien-president-du-niger-nous-avons-tous-interet-a-avoir-une-bonne-lecture-de-la-situation/

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