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Au Mali, un référendum pour rien

Seidik Abba

Sans adhésion des principales forces politiques du pays et sans aucune campagne de popularisation du projet de texte, le régime militaire de transition au Mali s’apprête à organiser, au forceps, un référendum constitutionnel ce 18 juin. Cette consultation électorale créera, de toute évidence, plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.

Peu importe les réserves des principales forces politiques du pays, du Parti de la renaissance nationale (PARENA) au Rassemblement du peuple du Mali (RPM), en passant par l’Union pour la république et la démocratie (UDR) et l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ). En l’absence de toute popularisation, le régime du colonel Assimi Goïta a convoqué pour le dimanche 18 juin les électeurs maliens pour se prononcer sur l’avant-projet d’une nouvelle Constitution.

Mauvais départ

Les premiers signes de ce fiasco référendaire annoncé remontent à la formation même du comité ad hoc de rédaction de la nouvelle constitution (CRNC). Alors que la tradition établie depuis très longtemps veut que la rédaction des textes fondamentaux associe en amont toutes les forces politiques et la société civile, le pouvoir de transition du tandem Assimi Goïta/Choguel Maïga a choisi unilatéralement les cinq membres du CRNC et les 22 experts qui les assistent.

Résultat, on trouve dans l’avant-projet toutes les idées que le pouvoir de transition défend. A l’inverse, toutes les options qu’il combat ont été écartées du nouveau texte constitutionnel. Naviguant dans le sens des colonels au pouvoir, le Comité de rédaction présidé par Fousseyni Samaké fait du prochain président malien un dirigeant omniscient et omnipotent, une sorte de monarque absolu qui concentre tous les pouvoirs.

Selon l’avant-projet, le prochain président du Mali détermine la politique de la nation ; nomme et démet le Premier ministre ; nomme aux fonctions civiles et militaires ; dispose de l’initiative des lois et préside le Conseil supérieur de la magistrature.

« La grande plaie de la pratique institutionnelle malienne est la personnalisation et la concentration du pouvoir dans les mains du président de la république. Cette personnalisation du pouvoir est à l’origine des dérives de la gouvernance constatées », met en garde le PARENA de Tiébilé Dramé dans un document interne intitulé « Mémorandum sur l’avant-projet de Constitution ».

Aggravation de la crise du Nord

L’hyper présidentialisation n’est pas le seul élément du projet de Constitution qui suscite la réprobation des forces politiques et de la société civile ainsi que les inquiétudes de la communauté internationale. Le nouveau texte ignore en effet les dispositions de l’Accord inter-malien d’Alger qui devraient être inscrites dans la nouvelle Constitution.

Malgré l’instance des groupes armés signataires de l’Accord d’Alger, soutenus dans leur revendication par des forces politiques et les pays médiateurs, le Comité rédactionnel n’a pas cru utile d’inscrire dans l’Avant-projet l’élection au suffrage universel et au scrutin proportionnel des assemblées régionales qui désigneront ensuite les exécutifs régionaux dans le cadre de la recherche d’une solution à la crise du nord Mali.

Le refus de prendre en compte cette disposition de l’Accord d’Alger est d’autant moins surprenant qu’il répond parfaitement aux attentes du pouvoir militaire de transition qui a toujours affiché une certaine ambiguïté envers l’accord.

Faute d’avoir été entendus, certains groupes armés ont clairement indiqué qu’ils ne garantiraient pas la tenue, ce 18 juin, de la consultation référendaire dans les zones du nord du pays actuellement sous leur contrôle. Comme à son habitude, le pouvoir de Bamako a fait la sourde oreille. Pourtant, la non organisation du référendum constitutionnel dans une grande partie du nord du pays entacherait sérieusement la légitimité du scrutin, surtout s’agissant de la nouvelle loi fondamentale.

Insulte à la diaspora

Les Maliens de l’extérieur sont tout autant que les groupes armés signataires des accords d’Alger vent débout contre l’Avant-projet de Constitution. Et pour cause : son article 31 dispose : « Tout candidat aux fonctions de président de la République doit être de nationalité malienne d’origine et ne posséder aucune autre nationalité à la date du dépôt de candidature ».

Nul n’a vraiment compris le sens et les enjeux d’une telle disposition dans un pays comme le Mali réputé être une terre de vieille tradition d’émigration et dont la diaspora est fortement présente sur les cinq continents. Toutes les analyses concourent à montrer que la résilience du Mali face aux sanctions imposées en 2021 par la CEDEAO vient, en grande partie, des transferts de fonds des Maliens de l’étranger vers leur pays d’origine.

Selon la Banque mondiale, ces transferts monétaires auraient représenté plus d’un milliard de dollars en 2017, soit 6,7 % du PIB malien, un montant largement plus important que l’aide publique au développement.

A cela s’ajoute la contribution des Maliens de l’extérieur au développement humain de leur pays à travers la construction des salles de classe, des dispensaires, des adductions d’eau potable ainsi que des aménagements des routes.

Des artistes et sportifs maliens vivant à l’étranger contribuent à la promotion et au rayonnement de la culture et du drapeau de leur pays. Certains ont créé des emplois au Mali à travers de nombreuses initiatives privées.

Même par « simple reconnaissance du ventre », il apparaît donc totalement inapproprié et injuste de disqualifier les Maliens de l’extérieur et leurs descendants de fonctions publiques dans leur pays d’origine, y compris le poste de président de la République.

Agenda caché

Derrière la volonté d’organiser à marche forcée le référendum apparait la volonté du pouvoir de Bamako de jouer la montre et de prolonger indéfiniment la transition. Le scrutin référendaire de dimanche est censé donner le coup d’envoi de différentes consultations électorales devant mener à la présidentielle de février 2024. Or, aucune autre consultation électorale n’est programmée après le scrutin de dimanche. Les listes électorales n’ont pas encore été actualisées, tous les démembrements de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) n’ont pas encore été installés sur l’ensemble du territoire national alors que la situation sécuritaire continue de se dégrader.

Dans un pays déjà très profondément divisé par la gestion autoritaire de la transition et les conflits communautaires provoqués par les activités des groupes djihadistes, le référendum de dimanche va aggraver les fractures.

Dans une déclaration rendue publique le 06 juin 2023, le PARENA a indiqué qu’il votera dimanche « Non » à la nouvelle Constitution. Plusieurs partis politiques et organisations de la société n’en pensent pas moins mais n’osent pas le dire clairement dans le climat actuel de répressions tous azimuts.

Une chape de plomb s’est abattue depuis plusieurs mois sur le pays, ne laissant aux voix discordantes que le choix entre la prison ou exil. L’issue de la consultation référendaire n’y changera rien, quel que soit son résultat.

Seidik Abba
Journaliste, Ecrivain
Auteur de « Mali-Sahel : Notre Afghanistan à nous ? « (Ed. Impacts Editions, 2022 »

 

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