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« L’Afrique n’a pas besoin de Poutine »

Seidik Abba

Dans un remarquable essai, qui vient de paraître chez l’Harmattan à Paris, Adrien Poussou, prend à rebours les nouveaux prophètes qui ont fait du sauvetage de l’Afrique par la Russie leur religion. La force de la démonstration de M. Poussou tient en ce qu’elle s’appuie sur le cas concret de son pays, la Centrafrique. L’auteur rappelle en outre très opportunément à ceux qui l’auraient oublié que la coopération russe en Afrique n’a rien de nouveau.

Il n’est pas de bon ton dans le contexte actuel d’inquisition de critiquer la présence russe en Afrique, sous peine d’être présenté comme un « valet de l’Occident ». L’essai d’Adrien Poussou, intitulé « L’Afrique n’a pas besoin de Poutine : contre le poutinisme un poison pour le continent », paru récemment, échappe à cette caricature. A partir de son expérience au cœur de l’Etat, l’auteur, ancien ministre-conseiller à la Primature et ancien ministre centrafricain de la Communication, déroule une majestueuse démonstration sur le rendez-vous manqué de la coopération russe en Centrafrique. Au mieux, le partenariat entre la RCA et la Russie aura été qu’« un vrai mirage », selon le décryptage d’Adrien Poussou  qui s’appuie exclusivement sur des faits.

« L’action de la Russie en Centrafrique ne s’accompagne pas que de la désinformation, elle génère également des souffrances de toutes sortes au sein de la population », écrit dans son essai, l’ex-ministre centrafricain qui en déduit que la coopération avec la Russie n’a apporté aucune valeur ajoutée en Centrafrique.

Les vautours de Wagner

Mais un des plus grands mérites de « l’Afrique n’a pas besoin de Poutine », c’est l’éclairage inédit voire exclusif qu’il apporte sur la machine Wagner, sur laquelle on pensait, avant la plongée dans cet essai, avoir déjà tout entendu et tout lu. Peu de personnes le savent encore : c’est par un vrai subterfuge que la Russie a pris pied en Centrafrique, comme le raconte Adrien Poussou : « C’est à bord d’un Iliouchine-76 en provenance de Khartoum que Moscou a pénétré la Centrafrique le 28 janvier 2018. L’avion est accueilli sur le tarmac de l’aéroport de Bangui-M’Poko par quelques agents russes, auxquels personnes ne prêtent attention ».

Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, venait ainsi d’ouvrir le boulevard, déplore l’auteur, à Wagner au nom de l’impératif de combler « le vide sécuritaire » laissé par le départ de la force française Sangaris (2013-2016). Il vient surtout de permettre au groupe de sécurité russe de faire main basse sur les richesses de son pays.  Wagner, dont la stratégie a toujours été de se nourrir sur la bête, se procure des licences d’extraction des pierres et minerais précieux à travers Lobaye Invest dont la sécurité est assurée par Sewa Security Services, deux sociétés proches d’Evgueni Prigojine, le fondateur de la société russe de sécurité, surnommé « le cuisinier de Poutine ».

Dans sa stratégie de dissimulation, Wagner change le nom de Lobaye Invest en Midas Resources, mais tout en gardant le même objet social en Centrafrique, comme au Mali et au Mozambique : piller les ressources minières nationales.  Mais ce n’est pas tant cette prédation de la richesse nationale, déjà inacceptable, qui heurte Adrien Poussou que « le visage de bestialité et de cruauté que montrent sur le terrain les mercenaires de Wagner ».

Avec une cruauté et un savoir-faire inégalés, Wagner massacre impunément des Centrafricains, raconte cet essai dont la suite donne froid dans le dos : « le mercredi 21 juillet 2021, une dizaine de jeunes taxi-moto et boubanguérés (vendeurs ambulants) ont été arrêtés à 12 kilomètres de Bossangoa, sur la route de Nana Bakassa. D’après des sources locales crédibles citées par les médias, ces jeunes ont été arrêtés par les hommes de Wagner avant d’être froidement exécutés ; certains ont été égorgés ».

Au final, en cinq années de présence, Wagner n’a pas apporté la garantie sécuritaire que le groupe avait fait miroiter au président centrafricain. Les groupes armés continuent de contrôler une grande partie du territoire national pendant que les mercenaires russes déroulent leur vrai agenda, celui de s’accaparer des richesses nationales.

Faire du neuf avec du vieux

L’autre intérêt de l’essai d’Adrien Poussou, c’est de rappeler à ceux qui l’auraient déjà oublié, et à ceux qui ne le savent pas encore, que la présence russe en Afrique n’a de nouveau que ce que certains tentent aujourd’hui de lui prêter. Du Mali de Modibo Keita au Congo révolutionnaire de Marien Ngouabi en passant par la Guinée de Sékou Touré et l’Ethiopie de Mengistu Hailé Mariam, Andrien Poussou dresse un bilan sans complaisance de la coopération avec l’ex Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) dont la Russie est héritière. Fait notable souligné par l’auteur, après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’empire soviétique, la Fédération de la Russie s’était même totalement éloignée de l’Afrique, n’y voyant aucun intérêt stratégique ou économique pour le continent. « Après trente années de désengagement massif consécutif à la dislocation de l’URSS, c’est au Soudan qu’a commencé en 2017 la grande saga du retour de Moscou en Afrique », souligne Adrien Poussou.

Derrière cette volonté de retour, se cache en réalité un opportunisme tous azimuts. Le Soudan d’Omar El-Béchir, la Centrafrique de Faustin-Archange Touadera, le Mali du colonel Assimi Goïta où même le Mozambique confrontée à la menace terroriste, la Russie cible en priorité des régimes fragilisés auxquels elle propose « un package » incluant son parapluie sécuritaire et diplomatique, avec la possibilité de bloquer les résolutions du Conseil de sécurité avec son véto.

Si l’on veut évaluer le bilan de l’efficacité de la coopération russe à l’aune du niveau de développement des pays qui furent ces chasses gardées, notamment la Guinée-Conakry et le Congo-Brazzaville, on peut affirmer, sans hésitation avec Andrien Poussou, qu’elle ne fut pas si brillante.

Les vraies urgences de l’Afrique

Et comme pour achever de convaincre, l’essai d’Adrien Poussou évalue l’adéquation entre l’offre russe de coopération et les vraies urgences actuelles du continent africain. A en juger par trois des plus grandes priorités du continent, les dividendes à escompter des promesses de Poutine à l’Afrique sont bien minces. L’essai souligne à juste titre que le renforcement de la démocratie doit être une préoccupation absolue des dirigeants africains, en particulier pour éviter l’instabilité politique génératrice des coups d’Etats qui retardent le développement des Etats africains. Ce n’est pas de Moscou que viendra l’accompagnement nécessaire à la consolidation de la démocratie en Afrique. Ce n’est pas non plus de la Russie, ajoute-t-il, que viendra le soutien financier et technique pour relever les défis du développement humain en Afrique, particulièrement dans les secteurs clefs de l’Education et de la santé. On comptera encore moins sur la Russie pour relever les défis du changement climatique. Selon une étude de la Banque mondiale, au moins 13 millions de personnes pourraient basculer d’ici à 2040 dans la pauvreté au Sahel, si rien n’est fait pour accompagner les efforts de la région en matière d’adaptation au changement climatique. A ces pays sahéliens, la Russie préfère proposer du matériel militaire ou l’envoi des mercenaires de Wagner.

Ce n’est pas à travers une coopération avec la Russie aux retombées hasardeuses que l’Afrique s’en sortira, mais grâce à une coopération continentale plus renforcée et mieux efficace.

Outre l’unité politique du continent, Adrien Poussou, exhorte les dirigeants africains à accélérer l’intégration économique, notamment en saisissant la grande opportunité que constitue la création de la Zone de libre-échanges continentale africaine (ZLEACAF). « En dépit des contraintes spécifiques de certains Etats, l’Afrique n’a d’autre choix que de mettre en place cette zone de libre-échange », ajoute l’auteur de « l’Afrique n’a pas besoin de Poutine : le poutinisme un poison pour le continent ».

Seidik Abba
Journaliste, Ecrivain
Auteur de « Voyage au cœur de Boko Haram. Enquête sur le djihad en Afrique subsaharienne » (Edit. L’Harmattan, 2019)

 

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