Y-a-t-il vraiment un débat sur le FCFA ? L’interrogation ne relève pas de la simple provocation tant il est aujourd’hui encore très difficile voire impossible de débattre sereinement argument contre argument sur la monnaie commune à huit pays africains de la zone UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et six Etats de la CEMAC (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée-Equatoriale et Tchad).
Faits et chiffres têtus
Si on ne devait juger que par les chiffres, la croisade contre le FCFA aurait des difficultés évidentes à convoquer des arguments convaincants. Il n’existe en effet aucun pays des deux zones CFA parmi les dix Etats africains les plus endettés, alors même que les 14 Etats réunis représentent pas moins du quart des 54 Etats de l’Union africaine. En revanche, les zones UEMOA et CEMAC sont bien celles qui affichent aujourd’hui le plus faible taux d’inflation, après avoir affiché une bonne résilience à la crise sanitaire provoquée par le Covid 19. A caractéristiques économiques égales, la Côte d’Ivoire (Etat de la zone UEMOA) et le Ghana, qui bat sa propre monnaie, ont eu des fortunes bien différentes face aux chocs économiques. Alors que la Côte d’Ivoire a remonté très rapidement la pente après la rébellion armée des années 2002, l’économie ghanéenne a vite plongé suite à des chocs internes. Accra a dû s’en remettre au Fonds monétaire international (FMI) pour organiser le sauvetage de son économie. Selon plusieurs économistes, outre les atouts de son économie, la Côte d’Ivoire a tiré profit de son appartenance à un espace économique et monétaire commun avec sept autres Etats pour amortir le choc des années la crise politico-militaire afficher plus rapidement les agrégats d’une solide économie.
Dividendes de la discipline commune
L’effet d’amortisseur de choc économique n’est pas le seul avantage de l’appartenance à une zone monétaire commune des 14 pays qui ont en partage le FCFA. Il y a aussi, entre autres, les retombées de la discipline budgétaire et monétaire imposée par la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque centrale des Etats d’Afrique centrale (BEAC). A la différence de ce qu’on a pu voir ailleurs, dans les zones UEMOA et CEMAC, il n’y a pas d’abus de planche à billets qui crée automatiquement des taux d’inflation à deux chiffres. La discipline commune permet également une bonne régulation du système bancaire, mais surtout une lutte plus efficace contre le blanchiment d’argent et autres délits financiers. Dans le contexte sécuritaire actuel en Afrique de l’Ouest et centrale, les outils de lutte contre le blanchiment d’argent garantissent une traçabilité qui prévient le financement du terrorisme. Que reste-t-il finalement comme argument aux procureurs du FCFA ? Loin de s’aventurer sur le terrain purement économique et des chiffres, ils optent pour la posture idéologique et celle de la souveraineté africaine.
Selon eux, il suffirait de l’indépendance monétaire pour que les Etats des deux zones FCFA accèdent à la prospérité. Pas si convaincus eux-mêmes que cela suffise, ils ajoutent que le dépôt des réserves d’échanges des pays de la zone CFA dans le compte d’opération de la Banque de France constitue le principal frein à leur décollage économique. A bien les analyser, ces deux arguments massue des procureurs du franc CFA présentent de très grandes lacunes. Sans que l’on en envoie encore les vrais dividendes, un énorme pas a été franchi récemment dans l’indépendance monétaire de la zone UEMOA avec le retrait des représentants de la France du Comité de politique monétaire de la BCEAO. De même, sans que cela ait encore provoqué le tournant économique promis, les réserves d’échanges de près de 5 milliards d’euros ont été transférés de la Banque de France vers la BCEAO.
Vraies urgences économiques
Dans le contexte actuel où le souverainisme et le panafricanisme sont convoqués à tout va, le combat contre le FCFA paraît porteur pour mobiliser des foules et se tailler une notoriété à moindre frais. Et pourtant, il ne semble pas être, loin s’en faut, la vraie urgence économique. Les contreperformances économiques des Etats africains qui battent leur propre monnaie doivent inciter les chevaliers blancs de la croisade contre le FCFA à la modestie. La prospérité économique des 14 pays de la zone FCFA ne viendra pas d’un changement de monnaie. Elle viendra d’une gouvernance vertueuse qui assure une gestion transparente, intègre et efficace des ressources financières, minières et naturelles nationales. La prospérité et le décollage économique des Etats africains viendront aussi des efforts qu’ils feront pour renforcer l’intégration économique à travers la libre circulation des personnes et des biens. Le taux d’échanges commerciaux entre pays africains est actuellement inférieur à 20% contre plus de 60% entre pays membres de l’Union européenne. Il est aujourd’hui plus facile de se rendre d’une capitale africaine vers une capitale européenne que de se déplacer d’une capitale africaine à une autre. Les liaisons aériennes entre pays africains, y compris dans la même sous-région, étant quasiment inexistantes. Ce sont là les vraies urgences économiques de l’Afrique. De toute évidence, la solution à ces urgences déclarées ne se trouvent pas dans la mort du FCFA. Le plus surprenant d’ailleurs dans la croisade contre le FCFA, c’est que ses chefs de file ne proposent pas d’alternative à la sortie de la monnaie unique. Tous les économistes sincères le disent : sortir d’une monnaie commune, quelle qu’elle soit, pour embrasser une monnaie nationale serait une immense régression. Dans l’idéal, personne n’est opposé à la création d’une monnaie commune africaine dans le contexte d’aujourd’hui pour favoriser la mise en place et l’efficacité de la « Zone de libre-échange économique africaine (ZLECAF) ». Cet enthousiasme ne saurait toutefois faire oublier les promesses sans lendemain dont les organisations continentales et régionales africaines sont coutumières. On avait, en son temps, applaudi des deux mains l’annonce de la création d’un Fonds monétaire africain qui serait établi à Yaoundé et d’une Banque centrale africaine qu’Abuja, la capitale fédérale nigériane, accueillerait. Ces annonces avaient été faites en 2002, lors de la création à Durban, en Afrique du Sud, de l’Union africaine pour prendre le relais de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Près de vingt ans plus tard, l’Afrique n’a réussi à créer ni sa banque centrale, ni son fonds monétaire. Même pas le passeport africain tant attendu pour matérialiser la volonté d’unité du continent. Ce sont celles-là les vraies urgences panafricaines et non la croisade contre le franc CFA.
Seidik Abba
Journaliste-Ecrivain
Auteur de « Pour comprendre Boko Haram » (Ed. L’Harmattan, 2021)