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Expulsion de la MINUSMA du Mali : Une nouvelle imposture

Seidik Abba

Aucun élément objectif ne vient justifier l’exigence du retrait pur et simple de la Mission multidimensionnelle des Nations unies au Mali (MINUSMA). Bien au-delà du Mali, cette décision, prise sur un coup de tête, pèsera lourdement sur la sécurité collective sous-régionale.

Les premiers surpris par la demande de retrait « sans délai » de la MINUSMA du Mali formulée le 16 juin 2023 devant le Conseil de sécurité des Nations Unies par le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop furent les Maliens eux-mêmes. Comme à son habitude, le pouvoir de Bamako a choisi la politique du fait accompli en ne consultant, pour une décision de portée nationale, ni les forces politiques, ni le parlement de transition (CNT), à fortiori la société civile indépendante qu’il déteste. Pour un régime dont la seule légitimité repose sur la force et la poudre, la concertation des forces politiques et sociales sur l’exigence de retrait de la MINUSMA n’est pas seulement une question de forme. En réalité plus que sur la forme, c’est sur le fond que cette exigence de retrait sans délai de la mission onusienne du Mali paraît la plus insensée.

Décision prise sur un coup de tête

En effet, aucune raison objective, bien au-delà de la martingale nationaliste et souverainiste, n’apporte un début de justification à l’annonce de l’expulsion le 16 juin dernier des casques bleus du Mali. Sur le terrain, la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée. De Menaka à Tombouctou et Gao en passant par Ansongo, l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) a intensifié ses activités terroristes et élargi considérablement ses zones d’influences. Profitant de l’absence de l’Etat, le mouvement terroriste administre des pans entiers du territoire malien, prélevant la « zakat », imposant la justice des « cadis » (juges islamiques) et interdisant le travail des femmes. En dépit des critiques légitimes que l’on pourrait porter sur l’efficacité des casques bleus, on peut, sans aucun doute, affirmer que leur retrait pur et simple du Mali aggravera l’insécurité dans le pays. Mais les enjeux de la présence de la MINUSMA ne sauraient être regardés uniquement sous le prisme de la sécurité. A la requête des parties maliennes et de la communauté internationale, la MINUSMA apporte un appui multiforme à la mise en œuvre de l’accord d’Alger signé en février 2015.

On peut mettre autant au crédit des parties maliennes signataires de l’Accord d’Alger que de la MINUSMA le compromis pour l’intégration prochaine dans les Forces armées maliennes de 13 000 ex-rebelles. La division « Désarmement, Démobilisation et Réintégration » (DDR) de la MINUSMA a joué un rôle significatif dans cette avancée. La mission onusienne au Mali, c’est aussi l’accompagnement du pays en matière des droits de l’homme et la démocratie. Outre les enquêtes sur les violations des droits de l’homme, la MINUSMA assure la fourniture des équipements et renforce les capacités des services d’enquêtes maliens ; elle accompagne la spécialisation des magistrats du pays…

Elle prend par ailleurs une part considérable au désenclavement du pays, en assurant des vols humanitaires entre le Nord et Bamako, entre le Centre du pays et la capitale malienne. Officiels maliens, responsables d’ONG, chefs traditionnels, acteurs de la société civile, ils sont nombreux à emprunter régulièrement ces vols humanitaires qui servent parfois même à assurer des évacuations sanitaires vers Bamako. Mais la mission onusienne, c’est aussi toute l’économie qu’elle a créée : 5000 emplois directs et indirects au Mali ; 54 millions de dollars injectés dans l’économie locale chaque année, soit près de 500 millions depuis 2013.

Sur l’autel d’un nationalisme et d’un souverainisme mal convoqués, on ne peut pas balayer d’un revers de la main toutes ces retombées positives de la MINUSMA. Toutefois, il ne s’agit pas ici de soutenir le caractère éternel de la présence onusienne au Mali. En Afrique de l’Ouest même, la Mission des Nations unies au Libéria (MINUL, 2003-2018) a pris fin en 2018 et le pays, qui sortait d’une longue guerre civile, ne s’est pas effondré. Le départ d’une opération de près de 12000 casques bleus se prépare et se met en œuvre sur la durée.  Il ne se décrète pas sur une simple saute d’humeur.

Coup de canif dans la sécurité collective

Dans le cas du Mali, l’exigence du départ de la MINUSMA ne correspond à aucun autre agenda que celui du pouvoir en place, déterminé à « punir » les Nations unies pour leur rapport sans concession sur le massacre qui a eu lieu du 27 au 31 mars 2023 à Moura, dans le Centre du Mali. Avant la publication de ce rapport qui incrimine l’armée malienne et les soldats de la milice privée de sécurité russe Wagner, les discussions engagées entre le pouvoir de Bamako et les Nations envisageaient très clairement le renouvellement en juin 2023 du mandat de la mission. Quitte à mettre sur la table le débat sur le renforcement de son mandat. Une exigence partagée par l’ensemble des partenaires africains du Mali, la CEDEAO et l’Union africaine.

La colère suscitée par la sortie du Rapport de Moura a changé la donne et entraîné la décision d’expulsion de la MINUSMA. On le sait depuis des temps immémoriaux : la colère est toujours mauvaise conseillère. Le pouvoir de Bamako vient de le prouver à nouveau. Au-delà du seul Mali, le départ non anticipé et non préparé de la MINUSMA va peser sur la sécurité collective de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Surtout dans le contexte actuel de progression irrésistible de l’agenda des groupes djihadistes visant à élargir leurs activités du Sahel vers les pays du Golfe de Guinée.

Faisant suite à l’exigence malienne, le Conseil de sécurité a voté la mort effective de la MINUSMA au 31 décembre prochain. Qu’est-ce qu’on y met à sa place ? Qu’envisage le Mali lui-même pour sa sécurité ? Pour la sécurité collective de la sous-région ?

Aucune réponse crédible ne peut aujourd’hui être apportée de la part de ceux qui ont décidé de l’expulsion pure et simple de la MINUSMA. A vrai dire, ils n’en ont pas. Mais le risque lui est réel que les groupes djihadistes se renforcent au Mali et qu’ils continuent de déstabiliser les voisins directs de ce pays (Burkina Faso, Niger) tout en progressant ers le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Après la première zone des trois frontières (Burkina Faso, Mali et Niger), les groupes djihadistes envisagent de créer une seconde zone des trois frontières : Bénin, Burkina Faso et Niger, à partir du Parc du W et du Parc de la Pendjari. L’aggravation de l’insécurité au Mali avec l’expulsion brutale et non préparée de la MINUSMA devrait aider, parmi d’autres conséquences, à la réalisation d’une tel projet terroriste.

Les mêmes qui applaudissent aujourd’hui des deux mains l’exigence de retrait de la mission des Nations unies du Mali, invoquant tantôt l’affirmation de la souveraineté nationale, tantôt le panafricanisme dont les défenseurs seraient les militaires maliens, ne seront plus présents pour assumer les vraies conséquences de cette imposture lorsqu’elles se feront sentir dans cette sous-région ouest-africaine déjà suffisamment déstabilisée.

 

Seidik Abba, Journaliste, Ecrivain
Auteur de « Mali/Sahel : Notre Afghanistan à Nous ? » (Impacts Editions, Paris, mars 2022)